Notre pays est plus fracturé que jamais. Nous devons faire preuve de retenue, d’humilité et de raison

Les résultats du premier tour de l’élection présidentielle sont une grande déception pour les militants que nous sommes, notre candidat n’a pas réussi à convaincre les électeurs. C’est évidemment une occasion manquée et une injustice sévère pour tous les militants de droite et du centre que nous sommes et qui voulaient porter un vrai projet de société après à 5 ans d’indécision et d’échecs.

Nous n’avions probablement pas conscience de l’importance de la fracture de notre pays, divisé solidement aujourd’hui en 4 sensibilités distinctes qui semblent irréconciliables. Cette fracture est avant tout sociale, le vote de « classes » a été particulièrement marqué, mais aussi générationnelle et surtout territoriale tant les clivages territoriaux entre Paris, les grandes métropoles, les périphéries, les zones péri-urbaines, les zones rurales, et les territoires d’outre-mer sont profondes. La France est aussi plus que jamais géographiquement coupée en deux, symbole d’une France à deux vitesses dont l’écart ne cesse de se creuser depuis de nombreuses années.

Face à ce constat, nous devons d’abord faire preuve de retenue, les gouvernements de droite, comme de gauche que nous avons portés ces dernières décennies n’ont pas réussi à restaurer la confiance, à faire face à l’explosion de la dette publique, à construire une économie tournée vers l’avenir et respectueuse de notre environnement, à panser les grandes inégalités sociales et territoriales qui, contrairement à d’autres pays européens, sont toujours plus vivaces.

Les électeurs ont choisi de porter au second tour de l’élection présidentielle deux projets plus différents et clivants que jamais, avec des projets de société qui ne sont aucunement en mesure de répondre aux multiples fractures qui traversent notre société.

Le projet du Front National a construit son logiciel sur une dynamique claire : la fermeture des frontières, l’indépendance monétaire, la fin d’une dynamique européenne coopérative et la restriction des échanges économiques et financiers internationaux pour relancer la croissance nationale et retrouver une souveraineté politique. Ces solutions sont inadaptées au contexte actuel : décréter une fermeture unilatérale de nos frontières n’a jamais démontré son efficacité nulle-part et créera plus de tensions avec nos voisins que cela n’apportera de solutions. Cela handicapera nos travailleurs transfrontaliers et ne fera d’ailleurs que déplacer les problématiques migratoires chez nos voisins du sud de l’Europe qui ont au contraire plus que jamais besoin de l’Europe pour répondre avec fermeté et humanité à la crise migratoire que nous connaissons. Nous avons aussi besoin de resouder la société, quels que soient l’origine, l’âge, la religion, le niveau social des individus, et force est de constater que Marine Le Pen n’est pas celle qui instaurera un terreau de confiance nécessaire pour la suite.

L’indépendance monétaire prônée par le FN est aussi un leurre. Le franc, avant l’avènement de l’euro était à deux doigts de l’implosion sous l’effet des politiques monétaires de nos voisins européens, eux-mêmes souverains économiquement. Dans un contexte économique où nous réalisons depuis des siècles la majeure partie de nos échanges économiques avec nos voisins européens, une politique monétaire coordonnée est incontournable ; une réforme de la zone euro pour la rendre plus intégrée est d’ailleurs indispensable pour freiner les déséquilibres globaux qui menacent toute l’économie du continent.

La sortie de l’Union européenne est aussi une non-réponse aux problèmes que nous connaissons : oui nous avons besoin d’une zone économique solide et coordonnée pour répondre aux besoins de tous les acteurs économiques européens qui sont interdépendants. Les problèmes économiques que nous connaissons ne sont pas liés à l’existence d’une union économique et politique entre nos pays, le processus européen a, au contraire, cherché à harmoniser les règles et les normes pour assurer des échanges justes et équitables entre les pays européens. C’est d’un côté l’inflation de ces normes, et de l’autre l’inaction de l’Europe face au dumping fiscal et social pratiqué par certains pays membres qui créent le climat de défiance que nous connaissons. Je crois au contraire que nous avons besoin plus que jamais d’une Europe plus intégrée et plus politique, avec un président de l’Union qui serait élu par tous les européens sur un programme politique clair et sur les bases des seules compétences qui ont été déléguées par les Etats et non d’une UE pilotée par une négociation interétatique inefficace et dangereuse pour toute l’Europe. C’est la clé d’une Europe plus juste face à une Europe des égoïsmes, du nivellement par le bas et de la concurrence déloyale.

Le projet d’Emmanuel Macron reste lui très flou et semble basé sur des mesures qui ne sont pas à la hauteur des attentes des Français à cette élection. Bien qu’un certain volontarisme soit affiché vis-à-vis de nos entreprises et des acteurs économiques, son bilan à Bercy est très décevant et la politique économique de François Hollande qu’il a cofondée a été illisible et beaucoup plus technocratique que basée sur un vrai élan politique clair. Il a, tout comme François Hollande, une part évidente de responsabilité dans la montée des extrêmes. Son projet de société est quasi inexistant ce qui ne fait pas de lui un candidat en mesure de rassembler et de porter un projet présidentiel. L’indécision qu’il a montrée dans la campagne est une vraie source d’inquiétude pour la suite. Je me retrouve toutefois davantage dans son projet que dans l’entreprise de démolition portée par Marine Le Pen et je voterai donc pour Emmanuel Macron le 7 mai. Il ne s’agit bien évidemment pas d’un vote d’adhésion mais d’un choix rationnel entre 2 programmes.

Nous n’avons toutefois pas notre place dans une majorité portée par Emmanuel Macron, le projet que nous avons porté et que nous porterons aux prochaines élections législatives doit être un projet d’espoir et non un assemblage de mesurettes visant à panser artificiellement les profondes fractures qui parcourent le pays. Je m’opposerai à toute initiative visant à nous conduire dans une majorité aussi floue qu’inquiétante pour la suite car favorisant un durcissement des extrêmes et un élargissement de leur corps électoral d’ici 2022. La responsabilité d’une famille gaulliste est de construire un projet solide, clair, rassembleur avec une vision de long terme, et non de nager dans l’indécision et la poursuite d’une politique qui a profondément divisé.

Notre place est aussi aux côtés de nos partenaires européens et de toutes celles et ceux qui composent le pays, qui le font marcher au quotidien, et ce, quelles que soient leurs origines ou leur opinions religieuses. Penser que tout ira mieux en nous refermant sur nous-mêmes est une grave erreur qui nous placerait dans une situation particulièrement dangereuse au long-terme car tous les enjeux d’aujourd’hui (lutte contre le réchauffement climatique, promotion de la paix, cohésion sociale, construction d’une croissance durable et respectueuse des autres et des générations futures…) nécessitent des réponses coordonnées et une dynamique commune. Tout compromis avec le Front national nous ferait dévier de ces enjeux et de ces objectifs vitaux.

Je ne serai toutefois pas de ceux qui feront de grandes leçons de morale. Vous ferez peut-être un autre choix que moi le 7 mai prochain pour des raisons qui vous sont personnelles et peut-être bien plus justifiées que les miennes. Dans une France aussi fracturée, je crois que nous devons collectivement faire preuve d’humilité dans cette situation particulièrement difficile et ne pas chercher à rabaisser et à discréditer celles et ceux qui souffrent au quotidien. Au-delà des divergences, j’invite toutefois chacune et chacun à s’interroger sur la place qu’il prendra dans la vie citoyenne de ces 5 prochaines années. Il est temps pour chacun de devenir des citoyens-acteurs plutôt que des citoyens-consommateurs.